par Jean-Baptiste Greuze, 1778
« Notre Père qui es aux cieux (…), pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »
(Evangile selon Saint Matthieu 6, 9.12)
ENTRÉE
Artiste apprécié de Diderot, Greuze représente des scènes de la vie intime et quotidienne avec des intentions moralisantes. S’inspirant de la parabole biblique du Fils prodigue (Évangile selon saint Luc 15,11-32), il peint en 1777 et en 1778, La Malédiction paternelle, un diptyque composé de deux tableaux, le Fils ingrat et le Fils puni, qui relate un drame familial.
Dans le premier tableau, un fils, seul soutien de sa famille, la délaisse pour se faire enrôler dans l’armée ; le père, courroucé, le charge de sa malédiction. Le deuxième volet représente ce même fils, de retour au foyer juste au moment de la mort de son père, tant affecté par l’égarement de celui-ci.
Greuze reprend le thème du Fils prodigue en changeant la fin de l’histoire. Dans la parabole, un fils demande à son père sa part d’héritage puis s’en va dans un pays lointain où il gaspille tous ses biens. Réduit à la misère, il décide de retourner chez son père pour devenir l’un des ses ouvriers. Le père, voyant de loin son fils revenir, court à sa rencontre et l’embrasse tendrement. Écoutant à peine sa demande de pardon, il le revêt des plus beaux habits et lui fait préparer une grande fête.
LECTURE DE L’OEUVRE
Greuze présente les acteurs du drame dans une mise en scène rigoureuse. Il orchestre les expressions des sentiments et y inscrit le pathétique de façon à émouvoir son public : la posture est accentuée, le geste suspendu dans un mouvement très théâtral ; chacun exprime une réaction individuelle et exacerbée.
À droite, le fils, besace sur le dos, vient d’entrer tandis que la mère lui montre le désastre, le tenant pour responsable. Brisé sous le choc de la nouvelle, le fils esquisse un geste de repentir. À l’opposé, les deux filles, malgré leur accablement, témoignent leur affection au père mourant et leurs yeux roulants implorent le ciel. Le fils cadet agenouillé vient de lire la prière des agonisants et manifeste lui aussi son chagrin. Le plus petit attend d’être consolé.
Les regards ne se croisent plus, le chien symbole de la fidélité s’éloigne, la chaufferette est éteinte : un grand malheur a frappé cette famille, sa désunion n’est pas loin. Pour s’être soustrait aux obligations familiales, voilà que le fils se trouve brutalement confronté à l’irréparable en même temps qu’à sa culpabilité et à la réprobation des siens. La mort du père signe l’impossible réconciliation avec lui. La visée de cette peinture est morale et a l’ambition d’édifier le spectateur en décrivant les conséquences tragiques d’un conflit familial.
ECHO SPIRITUEL
Qu’il s’agisse du « fils puni » ou du « fils prodigue », l’un et l’autre sont pris dans les filets de leurs fautes et saisis par les remords. Dans son parcours, ma vie a toujours quelque chose de dramatique : mes amertumes et mes souffrances ne me le rappellent-elles pas ? Pardonner ou me laisser pardonner est un combat dont l’issue n’est pas du tout assurée et je peux parfois m’enfoncer dans le désespoir de ce fils puni.
Mais à l’inverse du dénouement tragique du tableau de Greuze, la parabole du Fils prodigue raconte l’infinie tendresse du Père et nous renvoie à l’immense amour débordant du cœur de Dieu, un « amour qui fait confiance en tout, qui espère tout… » (1re lettre de saint Paul aux Corinthiens 13,7).
Et si, entrevoyant cet amour qui me précède et m’attend, j’amorçais un chemin de réconciliation avec les autres et avec Dieu : il brûle du désir de me rendre à la vie, me combler de son amour et me faire entrer dans sa joie. Suis-je prêt à faire un pas pour retrouver la liberté et la joie ?