Eugène Delacroix, vers 1830-1831
« Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu »
(Première Lettre de Saint Pierre 2, 16)
ENTRÉE
27, 28, 29 juillet 1830 : « les Trois Glorieuses ». Paris s’enflamme et se couvre de barricades, mettant fin au dernier épisode de la restauration monarchique. Dans une France très divisée depuis la Révolution française, Charles X, héritier d’une royauté de droit divin, adopte une politique autoritaire. Renversé, il est contraint de s’exiler.
Les artistes du XIXe siècle, en particulier les Romantiques, sont fascinés par les bouleversements politiques. Qu’on pense à Victor Hugo et à ses Misérables ! Ils traduisent dans l’art leurs enthousiasmes et leurs déceptions. Delacroix n’échappe pas à cet engouement, et livre ici une de ses œuvres les plus célèbres.
LECTURE DE L’OEUVRE
Delacroix mêle ici le réalisme et le symbole : par sa libre touche colorée, il cherche à transcrire l’atmosphère enfumée de l’émeute parisienne, dressant à l’arrière-plan les tours de la cathédrale Notre-Dame. Il décrit les émeutiers, dans la diversité sociale caractéristique de ces journées, mais il y ajoute cette improbable figure féminine. Coiffée du bonnet phrygien, aux allures de déesse guerrière, elle s’élance sur une barricade, levant bien haut le drapeau tricolore. Elle symbolise la liberté retrouvée : mouvement que nul ne peut enfermer et qui fait voler en éclats les pouvoirs et les barricades.
Un personnage au fichu rouge trouve encore la force de se redresser pour la contempler : l’humanité aspire de tout son être à cette liberté des nations. Telle une déesse païenne, celle-ci est suivie par tout un peuple qui se lève : étudiant bourgeois en haut-de-forme, « gavroche » armé de pistolets, jeunes ou moins jeunes aux armes diverses. Mais son mouvement énergique ne suffit pourtant pas à faire oublier la base du tableau de laquelle surgissent les émeutiers : un enchevêtrement de cadavres plus ou moins dénudés qui rappellent ceux du Radeau de la Méduse peints par Géricault en 1819.
En mêlant parmi eux hommes du peuple et soldats, Delacroix évoque surtout combien l’épisode fut sanglant, le nombre de morts étant estimé à un millier.
ECHO SPIRITUEL
Le spectateur peut être pris de vertige devant le coût d’une telle liberté : faut-il donc payer si cher pour la conquérir ? Il peut se sentir oppressé par ce chaos de fureur et de fumée, en cherchant vainement une lumière pour s’orienter, une ouverture pour espérer. Comment faire pour que cette liberté ne se transforme en une terrible idole dévoreuse de vies humaines ?
C’est aussi ma propre histoire : grandir en liberté est le travail de toute une vie. Je peux m’y perdre si je ne cherche qu’à suivre l’idole de ma propre vanité. Ce qui me rend libre selon Dieu naît de sa lumière : un Amour capable de repousser en moi la violence, la peur et le repli sur soi. Cette liberté véritable est si délicate à chercher et ne s’accueillera totalement que dans un au-delà du temps.