Roger, chevalier musulman, délivre Angélique du monstre marin

par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1819)

203 - ingres - roger delivre angelique

« D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces instincts qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre.  »

(Lettre de Saint Jacques 4, 1-2)

ENTRÉE

203 - ingres - roger delivre angelique - rogerAngélique et Roger sont deux personnages d’un célèbre poème épique de la Renaissance, « Roland furieux », écrit en Italie par l’Arioste. Ce poème parodie les romans chevaleresques du Moyen-âge. Le chevalier Roger chevauche un hippogriffe, animal fantastique mi cheval, mi aigle. S’inspirant de l’histoire de Persée et Andromède (Ovide, Les Métamorphoses), l’Arioste le présente délivrant Angélique. Elle a été attachée à un rocher pour être dévorée par un monstre marin. Mais les personnages d’Arioste sont bien loin des modèles antiques : Angélique n’est peut-être pas aussi chaste ni Roger aussi chevaleresque qu’on l’imagine. L’auteur nous les présente souvent dominés par leurs pulsions.

LECTURE DE L’OEUVRE

Est-ce la nuit ou le jour ? Le phare qui brille au fond à droite donne la réponse : c’est bien la nuit. On devine les lumières d’une cité, dans la crique à l’arrière de la falaise où est perché le phare.

Mais quelle est alors cette lumière qui baigne la scène ? A moins qu’il ne s’agisse déjà plus de la réalité, mais bien de la lumière intérieure d’un rêve. D’ailleurs, la scène est entièrement cachée derrière un rocher : nous n’y assistons que par effraction. C’est comme si nous étions plongés dans l’intimité profonde d’un esprit humain où les dynamismes à l’œuvre sont ceux du désir dans sa force pulsionnelle et son ambiguïté.

Ce désir a un objet : Angélique, victime attachée, et pourtant dans une pose où elle semble presque s’offrir. Si Roger, dans une magnifique armure et une prestance impeccable, donne l’apparence de se battre pour libérer la belle, que penser de l’attitude de sa monture : ses serres acérées semblent vouloir posséder la femme autant que le monstre aquatique? Tout se passe comme si une part inconsciente de Roger donnait un ordre contradictoire à l’animal. L’hippogriffe illustre bien l’ambivalence du désir, d’un côté chevaleresque, dans le don de soi, et de l’autre côté prédateur. Peu à peu, la scène passe ainsi d’une lecture idyllique du combat du bien contre le mal à une interprétation plus trouble : la lutte intérieure de Roger essayant vainement de dominer la puissance de son désir.

 

ECHO SPIRITUEL

Dans le poème de l’Arioste, Roger tentera d’abuser d’Angélique une fois qu’il l’aura libérée. Il sera incapable de résister à la pulsion de son désir. Mais empêtré dans son armure derrière laquelle il pensait être si puissant, il ne parviendra pas à ses fins. Nous vivons tous ce combat pour essayer de maîtriser le fond pulsionnel de notre désir. Nous expérimentons souvent notre échec. Ceux qui le refoulent, ignorant sa force, le voient généralement resurgir encore plus violent, selon l’adage de Pascal : « qui veut faire l’ange fait la bête ».

Certains pensent alors que leur liberté consiste à se soumettre complètement à leurs pulsions, réduisant leur humanité à cette dimension primaire de leur désir. D’autres désespèrent à force de chuter dans leur lutte.

La Bible n’ignore rien de cette réalité profonde de l’être humain. Elle y situe même le lieu où la grâce divine agit pour nous libérer et transformer notre désir en un authentique chemin d’amour vrai, et non de violence.